Vous avez remarqué ? Il y a de plus en plus de flics qui se foutent en l'air. Il n'y a pas si longtemps, c'est un Gardien de la Paix de la Police Judiciaire, des Stups, qui s'est tiré une balle dans les toilettes du 36. Ca ressemble à un clin d'œil que de se flinguer dans les chiottes. L'endroit idéal pour évacuer la merde qui nous colle souvent aux rangers en faisant ce boulot et dont la semelle empeste à des kilomètres.
Nous, moi, CRS, sommes épargnés par certaines images, de par notre emploi. Cela arrive de façon fortuite de voir des horreurs mais c'est relativement rare. Pour nos ptits gars et filles, motards de l'autoroutière c'est plus fréquent, tout comme pour nos collègues MNS durant leurs saisons en plage. Sans oublier bien sûr les montagnards, pour qui c'est souvent le cas mais dont la vocation première est de sauver des gens, mais parfois il n'y a plus rien à faire, si ce n'est emporter un corps mutilé, ne ressemblant plus à grand chose d'humain quand il a dévissé et atterri brutalement sur la planète pour voir si elle était plus belle vue d'en haut.
Notre boulot est ainsi fait. Pour les flics qui liront cet article, je ne leur apprend rien. Il ne nous épargne pas. Nous prenons parfois en pleine gueule et gérons tant bien que mal des choses auxquelles nous ne sommes pas préparés. Et nous rentrons avec à la maison ou au cantonnement. Nous nous endormons avec de sympathiques images de suicidés ferroviaires, d'accidentés de la route, d'overdosés, d'enfants aux mains de monstres ignobles les mutilant à vie en leur prodiguant pourtant des caresses ou autres ignominies auxquelles je préfère ne pas penser. Nous sommes témoins d'instantanés de vie où la misère est si envahissante et si accaparante qu'elle est presque devenue une amie tellement on la croise quotidiennement. Certains cauchemars nous réveillent en pleine nuit, comme pour nous rappeler qu'un flic est toujours en service, même quand il dort...
Avec les nombreux suicides à France Telecom, dont les employés ont décidé en nombre de se mettre aux abonnés absents ou sur liste rouge, appelez ça comme vous voulez, le public s'est aperçu que, comme la clope ou l'alcool, bosser tue, à la seule différence c'est que ce n'est pas marqué dans un encadré noir sur fond blanc quand vous signez votre contrat de travail. Certains le savaient déjà. Et les fonctionnaires n'ont pas le monopole du suicide d'ailleurs. Beaucoup en arrivent là à cause de leur travail à la paye minable, les rongeant de l'intérieur et leur faisant détester la vie, leur vie de merde, qu'ils détestent au point de préférer y mettre un terme. D'autres ont tellement de fric que ça ne leur serait jamais venu à l'idée tandis que beaucoup s'en foutent, c'est juste une information supplémentaire s'insérant entre deux faits divers sordides dont les médias sont friands. Et encore, l'argent n'a jamais empêché quoi que ce soit, bien au contraire. Il suffit de s'apercevoir combien de people pleins aux as ont choisi cette solution. Pour des policiers, dont l'un des outils de travail peut servir à supprimer une vie, ils ont à disposition un moyen de rayer la leur de la carte du monde. C'est un peu plus facile, mais tous ne se flinguent pas. Je ne vais pas entrer dans les détails j'ai pas envie.
Ce qui est juste à remarquer, à souligner au stabylo comme quand on fait des statistiques, c'est que lorsqu'un Gardien de la Paix, un Lieutenant de police ou Capitaine, bref, quel que soit le grade ou la fonction, c'est l'endroit où cela se passe. C'est presque toujours sur le lieu de travail. Et quand on lit après dans les journaux que ce sont des problèmes d'ordre privé qui en sont la cause, on se dit qu'on se fout bien de notre gueule et qu'on nous prend pour des cons.
Parce que c'est bien beau tout ça. Mais quand votre vie privée est tributaire de votre vie professionnelle, alors c'est bien le boulot qui est responsable. En tant que CRS, je suis souvent en déplacement. Le maximum est d'un mois (deux tous les cinq ans pour les renforts saisonniers). En règle générale, nous partons assez souvent trois semaines par ci ou quinze jours par là. Pour nos potes MNS, comptez deux mois d'absence pour surveiller les plages en été. Il y a des missions plus ou moins longues aussi, pour les motards, qui circulent par tous les temps, je dis ça en passant. Des permanences et des missions de sauvetage ou d'entraînement qui durent plusieurs jours pour les CRS de Haute-Montagne. Longue vie à la CRS Alpes ! (petit clin d'oeil à un copain). Pardon pour les services que je ne cite pas, parce que je suis flic mais je ne connais pas le fonctionnement des nombreux services que compte cette profession.
De ce fait, les couples, les familles en pâtissent. L'éloignement et l'absence ne sont jamais bons pour leur bon équilibre, c'est une évidence. Demandez à une femme de flic ce qu'elle en pense vous m'en direz des nouvelles. Demandez à un CRS souvent loin de chez lui ce qu'il pense de la naissance de son petit dernier qu'il a raté parce qu'il n'est pas arrivé à temps, et ce malgré que son Commandant de compagnie, dans un élan de générosité étonnante de la part d'un officier (je déconne, bisous mes ptits Lieutenants et Capitaines ou Commandants, n'oubliez pas de signer mes congés hein ? Je vous aime !) lui avait donné la permission de partir pour assister à l'événement. Mais il était trop loin, et le ptit bout de chou n'a pas attendu son papa pour dire bonjour à la vie. J'arrête, ça fait trop mauvais scénario de série policière à la con... Je parle des CRS mais vous pouvez changer des mots si vous voulez. Collègues, vous pouvez modifier ce qui vous désirez pour que ça vous corresponde le mieux. Pardon pour ceux qui ne sont pas dans la grande maison, avec toutes ses pièces pour cacher son désespoir. Ne vous sentez pas exclus, on ne vous oublie pas.
Voyez plutôt : Evidemment, il n'y a pas que les flics qui ont des contraintes de cet ordre. Bon nombre de professions sont d'une pénibilité extrême. Je ne vais pas toutes les énumérer, cela va du commercial qui passe son temps dans sa voiture et en réunion, au militaire qui part à l'étranger pour défendre les intérêts de son pays. Au professeur d'école, de collège ou lycée qui se fait muter à Perpète les oies et qui attend des années avant de postuler dans un établissement de sa région. La liste est longue, de ces métiers qui bouffent le quotidien et l'influencent énormément. Certes, tous l'ont choisi, et ont fait ce qu'il fallait pour en arriver là, en s'imposant des sacrifices au détriment de plaisirs simples, comme ceux d'avoir une vie pépère et équilibrée. Et encore, quelqu'un qui bosse huit heures par jours et rentrant à la maison tous les soirs n'est pas à l'abri du coup de blues, loin de là ! Rien ne les empêche de démissionner, ou, pour nous flics, gendarmes, bidasses, employés de France Télécom, profs, infirmières (ha tiens ! Encore une profession à la con, je l'avais oubliée celle-là) et j'en passe, de demander une mutation, c'est un des avantages de ces boulots là.
Mais merde quoi ! La boîte fait quoi pour ceux qui s'en vont de cette façon ? Ceux dont le sang et la cervelle viennent crépir le mur d'un commissariat ou celui d'un appartement, l'intérieur cuir d'une voiture, tous ces endroits où l'on retrouve nos collègues qui ont signé leur sortie de ce monde par la petite porte ? Parce que la douleur qui était la leur était trop lourde à porter et qu'une balle de 9 mm l'a guérie de façon radicale, sans possible retour, un peu comme un Efferalgan soulage d'un putain de mal de tête. Si la douleur persiste il faudra songer à aller voir un médecin. Un psy pour celui de vivre. Pour certains ce médecin s'appelle M. Sig Sauer. Je me suis toujours demandé si le pétard d'un flic qui s'est déboité était réaffecté à un autre fonctionnaire ? Ou s'il est mis dans un récipient aseptisé comme pour une seringue usagée dont on ne doit se servir qu'une fois par mesure d'hygiène et de sécurité.
Lors du match PSG – Nice sur lequel nous avons bossé il n'y a pas longtemps, nous avons croisé notre ministre, Brice (il est supporter de Nice, Brice ?). Il est venu serrer les paluches gantées ou pas de certains d'entre nous et a même caressé un cheval gendarme qui en a frémi de la croupe, c'est impressionnant un ministre qui se déplace, même pour un canasson. Avec toute sa clique de gradés aux feuilles de chêne, de types encostardés et de caméras de télévision. J'étais chauffeur. Assis au volant de mon boxer. Il est passé tout près de moi. Je n'ai pas eu le courage d'aller le voir pour lui demander s'il dormait bien la nuit et s'il comptait faire quelque chose plutôt que de se pavaner et parler d'abrutis habillés comme des cons, avec écharpes et maillot de foot se tapant sur la gueule à la moindre occasion, pourrissant ainsi la tranquilité de ces supporters qui viennent là uniquement pour passer un bon moment et encourager leur équipe parce qu'ils aiment le football ou tout simplement se retrouver dans l'ambiance magique d'un stade en ébullition. Je n'ai pas eu les cojones assez grosses pour descendre de mon véhicule pour lui demander si c'était normal qu'un flic qui se supprime, en service ou non, n'ait pas droit aux honneurs qu'il mérite, tout comme un ou une collègue qui tombe sous les balles d'un braqueur de casino ou de fourgon blindé.
Il paraît qu'il existe une cellule psychologique sensée nous aider. Vous en avez déjà entendu parler vous ? Il faut avoir internet ou demander à un délégué syndical pour savoir comment elle s'appelle, parce que j'ai beau chercher sur les murs des salles de repos des commissariats que je visite quand je suis en déplacement, je n'ai pas vu d'affiches m'informant qu'elle existe. Vous allez me dire, tu n'as qu'à aller voir l'assistante sociale. C'est ça, j'y penserai...
Je n'ai pas eu le courage, je disais, d'aller voir mon ministre. Certains en ont eu beaucoup, pour en arriver à ce geste ultime qui a plongé leurs proches dans une tristesse éternelle. Pour nous, flics, c'est un collègue, un copain, un ami, une connaissance, un frère, un mari, qui est tombé. On ne l'a pas aidé à marcher, c'est pour cette raison qu'il est là où il est maintenant. Entre quatre planches. Inutile de préciser qu'on peut mettre tout ça au féminin évidemment, pour les plus bouchés, ceux qui ne comprennent rien. Les femmes se suicident aussi, et subissent d'énormes pressions de la part de certains petits chefs minables, machos et misogynes comme c'est pas possible.
Ce n'est pas difficile à comprendre qu'un type qui se suicide sur son lieu de travail signale et marque d'une croix l'endroit à l'origine de tous ses maux de tête. J'ai bien envie d'aller mettre une affiche, dans les commodités du 36, quai des Orfèvres. Non ! Je vais plutôt la mettre sur la porte d'entrée juste en dessous du petit écriteau des toilettes. On ne pourra pas la rater, ça sera écrit en gros, en gras, format A3, caractères rouges sang, sur fond noir, pour des raisons évidentes.
J'y mettrai ceci : « Ci-git notre collègue Gardien de la PAIX, 29 ans, marié, sans enfant, affecté à la Brigade des Stups, parti en ce jour du 4 octobre 2010. Il ne l'avait pas, cette paix qu'il est sensé apporter de par son métier. La paix du cœur. Celle qui nous fait aimer la vie, même si elle nous en fait baver cette foutue existence. Nous envoie chaque jour à la gueule toute la merde d'un monde où c'est chacun pour soi. On a compris ton message. On ne pourra malheureusement pas empêcher ceux qui feront la même chose, plus tard, le plus tard possible. Mais promis, on sera plus vigilants. Quand un des nôtres arrivera le matin avec des valises chargées sous les yeux. En traînant des pieds. Ou alors parce qu'on se sera engueulé avec lui et que ce n'est pas dans son habitude, d'être comme ça, de s'énerver tout le temps, de se pourrir avec tout le monde, lui qui était si gentil. On guettera le moindre changement de comportement chez ceux qui partagent notre vie de flic, que nous aimons tant mais qui nous tue parfois, à petit feu.
On épiera le moindre détail suspect. Même chez ceux qui sont toujours souriants et gentils, marrants et tout et tout. Comme s'ils cachaient quelque chose derrière cette joie de vivre. Parce que nous, flics, avons un avantage. Nous sommes méfiants, suspicieux et tordus. Nous cherchons toujours la petite bête, même là où tout est clean, comme dans les toilettes dans lesquelles vous vous apprêtez à rentrer. N'oubliez pas de tirer la chasse et de laisser l'endroit aussi propre que vous l'avez trouvé en arrivant. Merci. »
Je suis entré dans la Police le 4 octobre 1994. Je ne vais pas l'oublier ce collègue-là, qui s'est suicidé à la date anniversaire de mon entrée dans la vraie vie, celle que je comprends mieux grâce à mon boulot. Celle qui m'a appris tellement de choses, qui m'a montré combien les gens pouvaient être admirables tout comme ils pouvaient être détestables, méprisables. Cette vie est la mienne. Je l'ai choisie. Ce métier je l'aime, vous pouvez pas savoir à quel point. Mais il me fatigue, jour après jour. Je m'accroche, je vous assure, je trébuche, je doute, je regarde en arrière, je ferme les yeux, je pleure, je m'énerve, je rage et peste contre la terre entière. Contre le jour où j'ai décidé de passer ce concours à la con.
Voilà... C'est malin... J'étale mes états d'âme à qui veut bien les lire. A ceux que je ne connais pas et qui comprendront on non ce que je dis en tombant par hasard sur cet article, au hasard d'un click gauche de souris. Ceux qui me jugeront. Qui penseront que je dis n'importe quoi. Je m'en tape. Je m'en contrefous de votre avis, gardez-le. Ce que vous direz ne changera rien pour moi, ne changera rien dans ma vie, dans ma façon de penser. Et ça ne me tuera pas non plus, je suis indestructible, parce que j'ai un cœur qui bat, fort, bien plus fort que ceux qui pensent que les flics sont tous des alcoolos, des racistes, des homophobes et tout le tralala habituel des tarés du bulbe qui ne réfléchissent qu'avec leur haine et un cerveau de la taille d'un pois chiche.
Les années passent et je m'approche tout doucement de l'ultime saut. Celui qui me fera quitter un monde pourri mais si beau à la fois. Parce qu'en fait c'est ça, c'est notre regard sur lui et sur les autres qui fait que nous allons bien ou non. Sur ce que nous faisons, de bien ou pas. Sur ce que nous jugeons utile, ou non. Sur ce qui nous arrive et la façon dont nous le gérons, l'instant où il arrive, il n'est pas toujours opportun ce petit grain de sable qui va coincer le mécanisme d'une vie sans problème et bien huilée.
Je vous aime, vous qui avez un cœur gros comme ça. Préservez-le, aimez de toutes vos forces, toujours, parce qu'il n'y a que ça de vrai. Et ne laissez personne vous dire que ce que vous faites est vain, même si vous vous dites parfois que c'est vrai. Ce n'est jamais inutile d'aimer, de travailler en y mettant tout son coeur. C'est tellement gratifiant de mettre de l'amour partout. Que ce soit dans une personne, sa femme, ses enfants, sa famille, ses amis, son chien ou sa plante verte. Ceux qui ne le mettent que dans leur métier n'ont peut-être pas tout ça. Mais c'est toujours de l'amour, et il vaut cher celui-là, on le paye même au prix de notre vie... c'est dire s'il est inestimable, et précieux.